Jacopo Robusti enrage. Ce peintre vénitien rumine la boutade lancée par le fameux poète l’Arétin. C’est dans les vers moqueurs de ce dernier que le surnom de Tintoretto, le petit teinturier, lui a été attribué. Cette référence au métier de son père est aussi un moyen pour l’Arétin de faire allusion aux couleurs, jugées improbables, qu'emploie le peintre… Ce surnom ne le quitte plus. Tourné en ridicule, Tintoret prépare sa vengeance !

À droite : Titien, Portrait de l'Arétin, vers 1548, Frick Collection de New York
La Furia de Tintoret, c’est-à-dire son caractère bouillonnant, s’exprime autant dans son art que dans ses actes. Dans son art, elle se reconnaît à travers les mouvements intenses qu’il donne à ses personnages. Comme ici avec Le meurtre d'Abel où Abel bascule dramatiquement sous les coups de Caïn. Et dans ses actes…

En 1551, le Tintoret croise plus ou moins par hasard le poète l’Arétin au détour d’une ruelle vénitienne. Il l’invite courtoisement à peindre son portrait dans son atelier. Candide, le poète se laisse entraîner.
Mais l’artiste a d’autres plans... Saisissant un poignard au lieu de pinceaux, il intimide le poète puis le ridiculise en prenant ses mesures à l’aide de l’arme. L’Arétin, qui n’en mène pas large, ne peut que promettre de ne plus le critiquer... Tintoret, avec humour, entame alors paisiblement le portrait, malheureusement disparu.

À droite : Pierre-Nolasque Bergeret, L'Arétin dans l'atelier du Tintoret, vers 1822, collection particulière
Pourtant l’histoire ne s’arrête pas là. Le surnom du Tintoret continue à se répandre et tout le milieu artistique est mis au courant de l’épisode du poignard. Réelle ou imaginaire, l'aventure inspire d'autres peintres, qui immortalisent l'altercation.
Au 19e siècle, Ingres en fait une malicieuse interprétation en remplaçant le poignard par un pistolet. Il vaut mieux ne pas énerver un artiste. L’Arétin l’a appris à ses dépens !