Tout doit partir ! Une petite histoire des soldes

Bien avant les opérations Black Friday, Aristide Boucicaut, fondateur visionnaire du Bon Marché à Paris, a systématisé cette pratique qui a bouleversé notre rapport à l’achat... et inspiré Émile Zola !

Félix Vallotton, Le Bon Marché, 1893, gravure sur bois, 202 x 261 mm, Bibliothèque nationale de France, Paris

Enfin, on rouvrit les portes, et le flot entra. Dès la première heure, avant que les magasins fussent pleins, il se produisit sous le vestibule un écrasement tel, qu’il fallut avoir recours aux sergents de ville, pour rétablir la circulation sur le trottoir. Mouret avait calculé juste : toutes les ménagères, une troupe serrée de petites bourgeoises et de femmes en bonnet, donnaient assaut aux occasions, aux soldes et aux coupons, étalés jusque dans la rue.

Cette scène, digne d’une opération Black Friday contemporaine, est en réalité imaginée par Émile Zola dans son célèbre roman Au Bonheur des Dames.

Affiche annonçant la publication d’Au Bonheur des Dames dans le quotidien Gil Blas, vers 1883, lithographie en couleur imprimée par Émile Lévy, 80 x 63 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris

Avec une source d’inspiration bien réelle, toutefois : le personnage d’Octave Mouret, propriétaire du grand magasin où se déroule l’histoire, prend pour modèle un certain Aristide Boucicaut.

Doté d’un sens des affaires aussi aiguisé que son double littéraire, Boucicaut est connu pour avoir révolutionné le commerce au milieu du 19e siècle alors qu’il dirige, avec son épouse Marguerite, le florissant établissement du Bon Marché à Paris. Il n’a cependant pas tout inventé tout seul !

Boucicaut a fait ses classes comme simple vendeur puis chef de rayon au Petit Saint-Thomas, l’un des tout premiers "magasins de nouveautés", fondé en 1810 par Simon Mannoury.

Jules Chéret, affiche publicitaire pour les soldes d’été au Petit Saint-Thomas, 1880-1882

Ce dernier systématise des innovations commerciales comme les prix fixes et affichés... ce qui paraît évident aujourd’hui, mais ne l’était pas du tout à l’époque ! "On ne vend qu’à prix fixe dans cette maison", proclament d’ailleurs fièrement les publicités du Petit Saint-Thomas.

Mannoury met également en place d’importants rabais sur les marchandises pour écouler ses invendus. Autrement dit, il est prêt à baisser ses marges (la différence entre le prix auquel il vend et le prix auquel il a acheté un article) pour augmenter les volumes (le nombre d'articles vendus).

Boucicaut reprendra ce concept au Bon Marché à partir de 1873 en lançant la Semaine puis le Mois du Blanc. Chaque mois de janvier, après Noël et sa frénésie d’achat, on vend à bas prix du linge de maison - habituellement blanc - pour pousser à la consommation et liquider les stocks de l'année précédente.

Les soldes sont nés… et l’histoire n’est pas près de s’arrêter !

"Le jour du blanc" (détail), illustration d’Au Bonheur des Dames publiée dans Œuvres complètes illustrées de Émile Zola, Fasquelle, 1906

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