Résister à voix basse : l’opérette de Germaine Tillion

En pleine Seconde Guerre mondiale, la résistante Germaine Tillion écoute la petite voix dans sa tête pour alléger la détresse dans son camp de concentration...

Déportées à Ravensbrück, 1939, auteur anonyme, Archives fédérales allemandes

1944, dans le camp nazi de Ravensbrück. Germaine Tillion se cache dans une caisse d’emballage. Déportée un an plus tôt pour faits de résistance, l’ethnologue est une "Verfügbar" (littéralement "disponible"), chargée des corvées les plus pénibles. Mais en ce mois d’octobre, Germaine Tillion parvient à échapper au travail en se dissimulant plusieurs jours grâce à l’aide de ses camarades.

Carte d'étudiante de Germaine Tillion, 1934

Elle en profite pour écrire en secret sur du papier volé... Ce qu’elle rédige ? De manière inattendue dans ces circonstances, une sorte d’opérette, inspirée des comédies musicales et des revues de music-hall. Ce Verfügbar aux enfers, conçu avec ses codétenues, raconte leurs terribles conditions de vie.

Mais le ton y est toujours grinçant ! Avec un humour très noir, un chœur de femmes déportées raconte leur détresse, leurs espoirs et leur solidarité, sous le regard d'un pseudo-conférencier "naturaliste".

Le but de Germaine Tillion, c’est d’abord de divertir ses camarades qui n’ont pas le moral. Elle en est persuadée : "Voir son propre malheur à distance permet de mieux lui résister". Mieux encore, le rire permet de lutter contre l’angoisse.

Manuscrit du Verfügbar aux enfers, Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon

Évidemment, il n’est pas question de monter la pièce... Le manuscrit de l’opérette circule de main en main, dans le plus grand secret. À chacune, lors de sa lecture silencieuse, de s’imaginer le spectacle et de chanter dans sa tête.

Pour les parties musicales, Tillion a donc fait au plus simple : pas de partition. Elle et ses codétenues préfèrent détourner des airs populaires, comme des extraits d’opéra, de chansons de variétés et même des slogans publicitaires. Seules leurs paroles sont modifiées !

L’œuvre, inachevée, sera sauvée lors de la Libération en 1945. Mais Tillion, qui a survécu, ne cherche pas à la publier : elle craint l’incompréhension du public. Il faut attendre les années 2000 pour la première édition. Cette œuvre déchirante prouve pourtant que la musique permet de résister et de rester humain, même dans des conditions infernales...

Et Tillion n'est pas la seule à mettre sa musique au service des déportés : dans un autre camp, c'est Aleksander Kulisiewicz qui chante en secret pour ses camarades...

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