
1880, Florence. Le peintre suisse Arnold Böcklin appose les derniers coups de pinceau sur son tableau. On y voit une île où de hauts rochers encerclent quelques cyprès. Au premier plan, une barque avance calmement. Ce paysage semble paisible, presque idyllique. Vraiment ? Le sujet est en réalité bien plus sombre…
La commande vient d’une certaine Marie Berna, qui souhaite un paysage "propice à la rêverie".

Mais la dame est mélancolique : cette veuve, sur le point de se remarier, désire honorer la mémoire de son premier époux, décédé quelques années plus tôt. C’est pourquoi elle demande à Böcklin d’ajouter au paysage le détail de la barque.
Ce petit détail change radicalement la signification de l’œuvre. On y voit Charon, le passeur d’âme dans la mythologie grecque. Il conduit dans sa barque une veuve drapée de blanc, accompagnant le cercueil du défunt dans un dernier voyage… Le joli paysage se transforme soudain en une vision de l’au-delà.

Devant cette ambiance chargée de mystère, le marchand d’art de Böcklin est sous le charme. Il conseille à l’artiste de peindre plusieurs autres versions, et surtout, il trouve au tableau un titre très évocateur : L’Île des morts.
Le succès est immense ! Les cinq versions de Böcklin sont reproduites à des milliers d’exemplaires, notamment en gravures, qui sont accrochées dans tous les intérieurs bourgeois d’Allemagne. Le sujet plaît autant au psychanalyste Freud qu’à Hitler, qui possède l’une des versions peintes originales.
La fascination pour L’Île des morts traverse le temps et inspire bien d‘autres artistes : on la retrouve comme sujet d'une création du compositeur Rachmaninov, dans un roman d’Aragon ou encore, plus récemment, dans un film de Scorsese !
